samedi 30 novembre 2013

Quand des prétendants à la gestion des affaires publiques se donnent en spectacle dans une émission de télévision.
 Bien que la liberté de la presse et l’accès de tous à la parole publique fassent" respirer " la démocratie, les organes de presse devraient tout de même être regardants et exigeants par rapport au comportement des personnes auxquelles ils donnent la parole. Car la presse a aussi une fonction d'éducation et de formation pour l'éclosion de citoyens modèles.

lundi 25 novembre 2013

LE DOMAINE NATIONAL, LE PAROXYSME DE L’INCOMPRIS

Notre pays connaît, depuis quelques décennies, une accentuation de la pression foncière exercée par les populations à des fins agricoles, d’habitation ou d’élevage. Avant la colonisation, la coutume (pratiques répétées et acceptées comme étant le droit) organisait l’accès au foncier. C’est ainsi que certains détenaient un droit réel sur certaines terres : les « propriétaires terriens ». Avec la colonisation, l’autorité coloniale a tenté, de 1804 à 1955, de mettre en place plusieurs régimes juridiques. Il s’agit, entre autres, du code civil français et du régime de transmission. Mais, ces tentatives ont été étouffées par la réticence et la résistance des populations qui ont continué à faire valoir leurs droits coutumiers sur les terres. Il y a eu, selon le mot du Professeur Abdoulaye Diéye, « une juxtaposition de régimes applicables ». Le 26 juillet 1932, un décret réglementant les titres fonciers des particuliers est pris. Il ne sera abrogé que le 30 mars 2011 par la loi n°2011-07 portant régime de propriété foncière. En outre, le processus d’adoption d’une loi sur le domaine national déclenché en 1958 n’aboutira qu’en 1964 (Loi n°64-46 du 17 Juin 1964). Il faudra attendre 12 ans après, pour assister à l’adoption de la Loi n°76-66 du 2 Juillet 1976 portant code du domaine de l’Etat. Il n’ y a donc que ces trois domaines qui composent le système foncier du Sénégal. Ainsi, les titres fonciers (il en n’existe que 100.000 au Sénégal selon le Professeur Abdoulaye Diéye, expert foncier), représentent 1%, alors que le domaine de l’Etat et le domaine national recouvrent respectivement 4 et 95% du foncier. 
Ce dernier retiendra notre attention tout au long de nos développements; car il constitue de loin le domaine le plus important du point de vue de sa taille, mais il est aussi celui qui suscite plus d’incompréhensions. Ainsi, il est à l’origine de plusieurs conflits : entre cultivateurs et éleveurs ; entre villages voisins ; entre des familles ; entre autorités étatiques et populations locales ; entre communautés de base et l’Etat autour des zones forestières classées ; entre communautés rurales par rapport à leur consistance foncière etc…
 Vers la fin des années 2000, le phénomène des ATGE (acquisition de terres à grande échelle) est venu « attiser le feu ». En effet, des entreprises multinationales, des hommes politiques, des hommes d’affaires, des chefs religieux, avec la bénédiction de l’ancien régime qui prônait l’entrepreneuriat agricole, se sont accaparés des terres de culture et d’élevage des populations locales défavorisées. Ainsi, nous assistons depuis quelques années à la recrudescence des conflits liés à ces acquisitions de terres à grande échelle dont les cas les plus récents sont ceux de Fanaye, de Sangalkam, de Ngith, de Mbane. C’est ainsi que certaines organisations de la société civile défendant les droits économiques et sociaux des populations locales, développent un plaidoyer fort contre l’accaparement des terres.
 Nous sommes aussi d’avis que les ressources foncières doivent profiter à ces populations. Mais,  ce qui est déconcertant c’est la prétention que certaines populations ont sur les terres du domaine national. Nous entendons tous les jours des populations dénoncer l’accaparement de leurs terres, celles qu’elles ont héritées de leurs ancêtres. Qu’en est-il exactement au sens de la loi sur le domaine national ?
 La réponse de cette loi est  claire. Elle dispose dans son article 3 : « Les terres du domaine national ne peuvent être immatriculées qu'au nom de l'Etat.Toutefois, le droit de requérir l'immatriculation est reconnu aux occupants du domaine national qui, à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, ont réalisé des constructions, installations ou aménagements constituant une mise en valeur à caractère permanent. L'existence de ces conditions est constatée par décision administrative à la demande de l'intéressé. Cette demande devra, sous peine de forclusion, être formulée dans un délai de six mois à compter de la date de publication du décret d'application de la présente loi. Ce décret précisera notamment les conditions requises pour qu'une mise en valeur soit considérée comme suffisante. » Et l’article 14 de cette même loi de compléter : «  les propriétaires d'immeubles ayant fait l'objet d'un acte transcrit à la Conservation des hypothèques devront, sous peine de déchéance, requérir 1'immatriculation desdits immeubles dans un délai de deux ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi. A défaut, ces immeubles peuvent être incorporés dans le domaine national. » Par «  immeubles », il faut entendre, en termes simples, le sol et tout ce qui s’y fixe. Autrement, c’est tout ce qui ne  peut pas être déplacé ; contrairement à un meuble. 
Il ressort  ainsi de la lecture combinée de ses deux articles que seules les personnes ayant suivi cette procédure et satisfait ces conditions, ont un droit de propriété avec tous les privilèges qui s’y attachent ; à savoir l’usus (le droit d’user du bien), le fructus (le droit d’en récolter les fruits) et l’abus (le droit d’abuser  du bien ou de le donner). Donc, toutes les autres personnes occupant et exploitant les terres du domaine national, à la date d’entrée en vigueur de la loi, pouvaient continuer à les occuper et à les exploiter, mais  elles n’ont qu’un droit d’usage auquel les organes compétents peuvent mettre fin, sous réserve de certaines conditions. 
Toutefois, il faut préciser que la situation des usagers n’est pas précaire ; c’est-à-dire qu’ils doivent, le cas échéant, bénéficier d’une compensation sous forme de remboursement des investissements réalisés. Ainsi, beaucoup de personnes qui se considèrent improprement comme « propriétaires terriens » ou qui prétendent hériter leurs terres de leurs ancêtres, doivent se raviser. Car ces terres obéissent aux principes de l’impossible appropriation, de l’inaliénabilité et de l’intransmissibilité. Ainsi, on ne peut ni avoir un droit de propriété sur les terres du domaine national (les investisseurs privés n’ont pas un droit réel de propriété sur les terres qu’ils exploitent, mais un droit de propriété démembré puisqu’ils bénéficient d’un bail emphytéotique qui dure au minimum 99 ans) ni les céder, les transférer ou les transmettre à ses héritiers. Il s’y ajoute qu’il faut remplir deux conditions pour y accéder : la capacité  de les mettre en valeur et l’obligation de rattachement au terroir. Ainsi, concrètement, un natif de Dakar que rien ne lie à Salémata, ne peut légalement accéder aux terres de cette localité. Il faut constater avec regret que se sont les personnes qui sont sensées faire respecter cette loi qui en sont les plus grands violateurs.

Tous ces problèmes d’incompréhension sont, à notre avis, principalement dus au poids sociologique et historique qui pèse sur les rapports que les populations entretiennent avec la terre.
De ce fait, pour réussir une bonne réforme du foncier, la commission mise en place à cet effet par le nouveau régime, doit répondre aux trois questions que s’est posées l e Professeur Abdoulaye Diéye en concluant sa communication lors d’un panel organisé au CESTI (Centre d’études des sciences et techniques de l’information) sur ce sujet : «  une réforme pour qui ? Une réforme pourquoi ? Et une réforme avec qui ? » Sans quoi il y aurait une «  épine au pied » de l’acte 3 de la décentralisation.