jeudi 27 février 2014

Dans l'univers d'un monument à double face

Perché sur l’une des mamelles de Ouakam, le monument de la renaissance africaine se situe à moins de 200 mètres de l’autre mamelle sur laquelle trône le phare.  Sa stature imposante que certains habitants de la capitale sénégalaise  l’aperçoivent de loin. L’opportunité de ce colosse inauguré le 3 avril 2010 continue de faire l’objet de controverses. Selon certaines personnes rencontrées, la fréquentation a baissé du fait  de la conjugaison de plusieurs facteurs.


Le monument de la renaissance africaine surplombe les quartiers de Ndiayène et de Cité Toucouleurs du village traditionnel de Ouakam où des maisons en baraque ou en banco font encore partie du décor. La route des mamelles sépare ces deux « mondes » dont le contraste est intrigant.  Sous le pont de cette route, un gendarme en faction assis sur un banc à 2 mètres des barrières de sécurité, manipule un portable. Deux panneaux sont contigus à ces barrières. Sur l’un sont précisées les horaires de visite. Sur l’autre il est écrit « la pratique sportive est formellement interdite dans l’enceinte du monument de la renaissance ». Sur la question de sécurité, le gendarme en faction affirme : « je ne suis pas habilité à en parler ». Il se lève et montre du doigt son supérieur  qui discute avec des photographes au pied du monument. « Lui pourrait peut-être vous donner des informations », poursuit-il. Interrogé, son supérieur nous fait savoir qu’il leur est interdit de parler aux journalistes. C’est pourquoi, il a préféré requérir l’anonymat. « Il n’y a eu aucun problème majeur depuis l’inauguration du monument. Les visiteurs viennent et repartent en sécurité ». Ousseynou Bissichi, chef des opérations du monument confirme : « la gendarmerie assure la sécurité des alentours, les sapeurs pompiers s’occupent de la sûreté à l’intérieur même du monument ».

« Du point de vue touristique c’est formidable, mais… »

Au pied du monument, des bambins déchaînés et enthousiastes se laissent glisser sur les rebords des marches. Un flux incessant de visiteurs montent et descendent des marches. Parmi ceux-ci, un couple franco-sénégalais. Cingili Guèye, française de taille moyenne contemple admirativement le monument avant de laisser échapper ces mots : « c’est très joli. On sent l’amour. Le papa porte son enfant à côté de sa femme. Ils regardent vers l’avenir ». Cette française affirme qu’il y a un contraste entre cette partie de Dakar et la pauvreté qui sévit dans le reste du Sénégal. Elle ajoute que les touristes qui  ne visiteront que le monument diront que le Sénégal n’est  pas un pays pauvre. « Du point de vue touristique c’est formidable, mais j’estime que l’argent de ce monument aurait mieux servi ailleurs », a-t-elle regretté. Son époux de taille moyenne et de teint noir, lui coupe la parole et corrobore ses propos. Cheikh Bamba  Guèye vêtu d’un costume noir, écharpe bleu-marine nouée autour du cou, estime: « les 18 milliards consacrés à la construction de ce monument auraient pu servir à la création d’emplois pour les jeunes. Cet argent aurait  aussi pu être injecté dans les secteurs de la santé et de l’éducation. Dans les hôpitaux, si tu n’as de moyens, on ne te prend pas. C’est la pauvreté partout. Le monument est beau, les étrangers viennent visiter, mais pour moi, la priorité était ailleurs ».

Baisse de la fréquentation

Au même moment, des photographes qui rappellent les paparazzis, guettent l’arrivée des visiteurs. Abdoulaye Ba, 29 ans, vêtu d’un jogging de couleur grise, appareil photo en main, fréquente le monument depuis son inauguration. Il confie : « au début, notre travail marchait très bien. Actuellement, ça ne marche plus, car la majeure partie des visiteurs viennent avec leurs appareils numériques ou leurs téléphones portables. Presque tous les touristes étrangers disposent d’appareils numériques. En plus, les administrateurs ont divisé les photographes en deux groupes.  Aujourd’hui  c’est notre groupe qui vient travailler, demain ce sera le tour de l’autre groupe. Cette décision a compliqué davantage notre situation. Les visiteurs se font de plus en plus rares ». «  Si tu vois qu’il ya beaucoup de monde aujourd’hui, c’est parce qu’il y a des élèves (il fait allusion aux étudiants de l’université du Sahel) qui  sont venus visiter le monument. Cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu autant de visiteurs ». El hadj Sarr, les yeux rouges derrière ses grosses lunettes, confirme les propos de son collègue. « Du temps du régime de Wade, il y avait beaucoup de chefs d’Etats qui venaient visiter le monument. Ce n’est plus le cas. Il s’y ajoute que cette route qui passe devant le monument est maintenant fermée aux voitures. Ce qui fait que la fréquentation a considérablement baissé ». Une affirmation que réfute le Chef des opérations du monument. Pour Ousseynou Bissichi « considérablement baissé » c’est trop dire. Selon lui, le nombre de visiteurs varie selon les périodes. «  De juin à juillet et de novembre à janvier, nous recevons beaucoup de visiteurs nationaux et étrangers. En dehors de ces périodes, le flux baisse », a-t-il révélé. Il ajoute que la baisse du flux touristique noté au niveau national n’a pas épargné le monument ».

Ambiance carnavalesque

Des batteurs de tam-tam assistés de deux danseurs sont installés sur la terrasse située à droite des marches du monument. Le rythme mélodieux et les pas mesurés et coordonnés des danseurs immobilisent certains visiteurs. Khadija Sow, tout en sueur après une danse énergique, précise : « nous ne sommes pas des animateurs du monument. Les autorités du monument nous ont donné l’autorisation de faire nos répétions ici. Elles y gagnent aussi car nous sommes là tous les après-midi. Nous faisons de la danse afro comptemporaine et  vous voyez (elle montre du doigt des spectateurs) que les visiteurs aiment ».
De l’autre côté, le théâtre  des verdures accueille, ce samedi, les étudiants de l’université du Sahel dans le cadre d’une sortie pédagogique. Aliou Boiro âgé de 22ans, étudiant dans cette université affiche sa satisfaction de leur visite. « Je passe toujours à côté du monument en voiture. Mais  c’est aujourd’hui que j’ai eu la chance d’entrer dans le monument. Je suis vraiment impressionner par ce que j’ai vu ». Les mains dans les poches de son pantalon bleu-marine, air décontracté dans sa chemise bleu-claire et sa cravate rouge bordeaux flottant sous l’effet du vent qui devenait de plus en plus « agressif », il fixe, admiratif, le monument et lâche : « pour moi ce monument n’est pas du gâchis comme le pensent certains, il est tout simplement une merveille ».
Le déhanchement des étudiants de l’université du Sahel au rythme de coupé-décalé mêlé au son des tam-tam, donne au monument une ambiance carnavalesque.

Durée de vie : 1200 ans

Le monument de la renaissance africaine s’étend sur une surface bâtie de 1154 m 2 sur une superficie totale de 1927 m2. Il pèse 7000 tonnes (la dame 70 tonnes, l’homme 100 tonnes, l’enfant 20 tonnes et le socle en béton armé qui tient la statue en cuivre 6810 tonnes). Sa hauteur est de 52 mètres (de la cheville de la dame jusqu’au doigt de l’enfant). Sa durée de vie est estimée à 12 siècles, soit 1200 ans. La statue abrite en son sein des salles de spectacles et d’exposition, d’une salle VIP dédiée aux personnalités mais ouverte à tous les visiteurs. Le ticket individuel est fixé à 3000 F CFA pour les africains et à 6500 F CFA pour les non africains. Les recettes annuelles sont estimées entre 36.000.000 F CFA et 48.000.000 F CFA. La statue est composée de 15 niveaux. Le dernier se confond avec le bonnet de l’homme. Un belvédère qui offre une vue panoramique sur Dakar.

A 19 heures, de l’esplanade du monument, on aperçoit le soleil afficher ses derniers signes de vie avant de sombrer dans les eaux de l’océan atlantique. La brise « agressive » qui vient de la mer située à quelques mètres de là, contraint les visiteurs à vider les lieux ». Le jeune gendarme en faction lui, semble y être habitué. Il continue de veiller au grain en manipulant toujours son portable.

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